LA RUSSIE CHOISIT DE RESTER ENCHAINEE
par Ralph PETERSEditorialiste au
New York PostLa paranoïa russe est immense et insondable. Et le président russe sortant, Vladimir Poutine, a été un Russe exemplaire. Ses soupçons constants envers les intentions de l'Occident ont été renforcés par son passé de membre des services secrets.
Nous verrons bientôt si le "vainqueur" des récentes élections présidentielles Dimitri Medvedev trahit son prédécesseur et s'émancipe, ou s'il joue le simple le rôle de la marionnette d'un Poutine-Raspoutine.
La dimension la plus frappante de la parodie d'élection du week-end dernier à Moscou n'était pas que tout était joué et organisé d'avance, mais que Poutine, Medvedev et les autres ne semblaient pas le moins du monde génés ou honteux. C'était un voyage remontant le temps en direction de l'ère soviétique dont Poutine conserve si visiblement la nostalgie.
La seule chose positive est que les gens du Kremlin ont eu la "pudeur" de limiter l'élan d'amour spontané vers Medvedev à 70% des voix, et de ne pas opérer un retour vers les 95% exigés autrefois par les gérontocrates communistes.
La vérité semble être que les citoyens russes, en leur grande majorité, sont contents d'être traités comme des moutons. Tant que leurs conditions de vie leur sembleront un peu meilleures que ce qu'elles étaient hier, les Russes ne protesteront pas contre l'autoritarisme de ceux qui les gouvernent. La constante russe au fil des siècles semble avoir été de se soumettre aux dirigeants et d'éviter à avoir à prendre ses responsabilités.
C'est incompréhensible pour nous Occidentaux, mais les Russes semblent vouloir un tsar fort susceptible de décider à leur place, de les délivrer d'avoir à choisir (et susceptible, si possible, de ne pas leur demander de travailler trop dur).
Je pourrais écrire que la Russie n'est pas une république bananière, quand bien même on y assassine les journalistes, on y emprisonne les opposants politiques, on y voles les biens privés, on y finance des organisations terroristes, et on pratique l'intimidation belliciste vis-à-vis des pays voisins.
Mais j'aurais tort. Non pas seulement parce que la Russie n'a rien d'une république, mais parce que la Russie prend une direction qui s'est révélée fatale à tant de pays en voie de développement : l'effondrement peut fort bien venir après un essor inespéré.
Quoi que disent ses porte-parole à l'étranger, la Fédération de Russie ne diversifie pas sa base industrielle, ne remédie pas à l'état désastreux de son système scolaire et ne met pas en place les bases matérielles et humaines qui pourraient lui permettre de s'assurer un futur au delà de la rente gazière et pétrolière.
La Russie connaît aujourd'hui un effet d'aubaine lié à la hausse des prix de l'énergie qu'on peut rapprocher des effets d'aubaines qu'ont connu autrefois divers pays d'Amérique Latine, et comme dans tous les pays où ont joué ces effets d'aubaine, on y trouve une poignée de gens très riches. Une architecture clinquante, une armée aux bottes rutilantes, et une économie prète à se désintégrer dès que l'aubaine cessera.
En dépit du strass et des paillettes au centre de Moscou, la Russie est un pays tragiquement sous-développé. C'est la Bolivien, avec en supplément, une poignée de Bentley.
Le président Medvedev y changera-t-il quelque chose lorsqu'il prendra ses fonctions ? Se révèlera-t-il être davantage qu'une marionnette de Poutine ?
Nul ne peut le dire. Les êtres humains peuvent surprendre ceux qui en attendent le pire. Néanmoins, étant donné que les liens entre Medvedev et Poutine sont anciens et remontent à un passé trouble à Saint-Peterbourg, rien n'incite à un optimisme immodéré.
Le plus triste est que le monde civilisé serait prêt à adopter une attitude constructive vis-à-vis de la Russie. Mais les Russes ne semblent pas le percevoir, le vouloir ou le comprendre. Pour le Russe moyen, la vie est un jeu à somme nulle, et le reste du monde est prêt à lui voler son saucisson et sa ration alimentaire.
C'est cette caractéristique davantage que toute autre qui maintient la Russie dans la catégorie des pays sous-développés.
Ce n'est là que mon analyse et, après des années passées à étudier ce pays, je n'ai jamais souffert personnellement de la tyrannie du Kremlin, et je n'ai jamais subi la brutalité de la police secrète russe.
Mais j'ai eu l'honneur de rencontrer voici peu Vaclav Havel au siège de l'Otan, et ce défenseur des droits et cet adepte de la non violence m'a rappelé l'importance vitale de l'Alliance atlantique.
Havel a été le dernier président de la Tchécoslovaquie et le premier président de la République Tchèque, il a 71 ans. Sa santé est détériorée à cause d'un cancer et d'années passées dans les geôles communistes. Mais il reste un ardent partisan de liberté. Dans un discours prononcé à l'Otan, il a énoncé cette forte mise en garde vis-à-vis de la Russie :
"Une dictature d'un nouveau type est en train de naître à l'Est des territoires protégés par l'Otan. Tous les droits humains et toutes les libertés civiles sont en train d'y être supprimés silencieusement au nom du dogme selon lequel tout le monde veut du mal à la Russie, et la Russie est entourée d'ennemis qui ne disent par leur nom".
"Le système de parti unique et de confiscation de la démocratie que nous avons bien connu à l'époque soviétique est revivifié. La police secrète redevient toute puissante. L'énorme richesse naturelle du pays passe sous le contrôle des détenteurs du pouvoirs et de leurs amis".
" Tout ce qui relève de liberté est détruit de manière subtile et feutrée. Les gens que le gouvernement considère comme des fauteurs de troubles disparaissent ou sont mystérieusement assassinés. Les meurtres politiques et divers actes terroristes ne font l'objet d'aucune enquête".
"Un immense pays occupant un très vaste territoire glisse vers l'apathie et sa population se résigne au statu quo en acceptant passivement le culte du chef et une propagande qui rappelle celle des années Staline".
"La Russie perd collectivement conscience de ses propres limites géographiques et politiques, et en vient à penser que des terres qu'elle s'était appropriée lui appartiennent pour toujours".
Havel a conclu par ces mots : "Je pense que nul d'entre nous ne peut rester silencieux et faire semblant de ne pas voir ces choses. La politesse et l'hypocrisie n'ont jamais permis de vivre durablement en paix."
La Russie n'a jamais eu de président Havel. Elle a juste eu des clones de Soviétiques en costumes de meilleure coupe. Bienvenue dans la nouvelle ancienne Russie.
Source : Institut Turgot
www.turgot.org