Par Desmond Lachman, chercheur à l'A.E.I
L’un des changements les plus frappants à être survenu dans le paysage financier global a été le passage du pouvoir en ce secteur des mains des Etats-Unis à celles des pays asiatiques ou exportateurs de pétrole. Un reflet de ce changement a été la prolifération des fonds souverains, les fonds qui gèrent les actifs de ces pays hors de leurs frontières. Les fonds souverains existent depuis longtemps, mais ils croissent aujourd’hui à un rythme sans précédents. En 1990, ils représentaient moins de 500 milliards de dollars : à la fin de 2007, le chiffre était passé à 25 mille milliards de dollars. Ce qui signifie qu’ils représentent deux fois la somme totale de tous les hedge funds et de tous les fonds de private equity de la planète. Si leur courbe de croissance se poursuit, ils pourraient représenter 100 à 150 mille milliards de dollars d’ici 2015.
En août 2007, la Chine a annoncé la création de Chinese Investment Corporation(CIC), un fonds dont les avoirs représentaient, alors, 200 milliards de dollars. Récemment le CIC et d’autres fonds souverains ont acquis des parts significatives dans certaines des plus vénérables institutions financières américaines. Après avoir été déstabilisé par la crise des subprimes, Merril Lynch s’est tourné vers Temasek, le fonds souverain de Singapour à qui il a vendu 9,4% de ses parts. Morgan Stanley, de son côté, a vendu 9,9% au CIC, et Citibank a cédé 4,9% à la Abu Dhabi Investment Authority.
Ces événements ont suscité un vif débat concernant la menace potentielle incarnée par les fonds souverains. Leur but restera-t-il seulement la maximisation de retours financiers ? Ou seront-ils utilisés par les gouvernements qui les possèdent aux fins de poursuivre des objectifs politiques susceptibles d’entrer en conflit avec les intérêts américains ?
A une extrémité du débat, on trouve le Département américain du trésor et d’anciens responsables de cette institution tels que Ted Truman et Randall Quarles. Ces gens pensent que les fonds souverains pourront contrer les risques d’un recours à un protectionnisme financier qui serait contraire aux intérêts économiques à long terme des Etats-Unis. Et ils sont favorables à une action de concertation incitant les fonds souverains à se soumettre volontairement à un code de conduite qu’ils établiraient en tandem avec le Fonds monétaire international (si possible lors de la réunion du FMI en octobre).
Le Trésor dit que ce code volontaire de conduite devrait inclure la promesse claire par les fonds souverains de ce qu’ils investiront sur la base d’une logique commerciale et financière, et non d’une logique politique. L’espoir du Trésor est, en fait, que les fonds souverains en viennent à opérer de façon totalement transparente, selon le mode adopté par le fonds souverain norvégien : ce qui rendrait plus facile pour les pays récipiendaires l’évaluation précise des intentions impliquées. Il va sans dire que le Trésor espère aussi que les fonds souverains adopteront des systèmes de gestion des risques efficaces, et se doteront de structures de gouvernance et de contrôle interne performantes.
A l’autre extrémité du débat, on trouve des spécialistes de la Chine tels que Patrick Mulloy, de l’US-China Economic and Strategic Review. Mulloy pense que les Etats-Unis sont beaucoup trop complaisants face aux investissements et aux intentions d’investissement de pays tels que la Chine et la Russie. Il dit que les investissements effectués ou envisagés par ces pays dans des entreprises américaines devraient faire l’objet d’enquêtes de sécurité nationale plus strictes, quand bien même il ne s’agirait pour eux que d’acquérir des parts minoritaires dans une entreprise. Mulloy est aussi très sceptique quant à la capacité du FMI d’influencer les pratiques d’investissement de la Chine, et évoque à l’appui de ses doutes l’absence de succès de l’institution lorsqu’elle a cherché à obtenir que la Chine cesse de manipuler le cours de sa monnaie.
Maintenir les marchés financiers ouverts sans mettre en péril les intérêts politiques américains ne sera pas une tâche facile. Cela deviendra moins facile encore lorsque les fonds souverains croîtront davantage et chercheront de nouvelles opportunités d’investissement. Quoi qu’ils décident, les dirigeants politiques américains devraient chercher à renforcer les taux d’épargne américains, dont la faiblesse a créé la dépendance du pays vis-à-vis de capitaux venus de l’étranger.
Source : Institut Turgot
www.turgot.org