Réflexions sur une libération
Par Liliane Messika
http://www.primo-europe.org/
Ingrid Bétancourt a fait bouger les lignes.Pipolisation et idéologie : les deux mamelles de la France
Dans notre civilisation de l’image, la pipolisation a atteint, ces dernières années, une altitude himalayenne, faisant couler le niveau du débat d’idées au fond d’un abysse de profondeur équivalente.
Plusieurs catégories de personnages publics sont concernées par la notoriété. Les plus courants sont les Skalts (Sui Ki-est à la Télé*), dont la renommée peut s’attraper par simple contagion : d’aucuns deviennent célèbres du simple fait d’avoir côtoyé une personnalité.
Si moins d’un Français sur dix est capable de nommer un Prix Nobel hexagonal (ils sont pourtant suffisamment rares pour qu’on retienne le nom de chacun d’entre eux !), nul n’ignore celui de la présentatrice météo d’une chaîne cryptée ou le prénom des enfants d’Ingrid Bétancourt.
A la bourse de l’éphémère, le pipole le mieux coté est incontestablement l’otage photogénique de genre féminin et exerçant une fonction politique. Ingrid Bétancourt après Florence Aubenas a vu son portrait décorer l’Hôtel de Ville sur plusieurs mètres de haut. Pour les internautes en provenance de Mars, rappelons qu’en France, le journalisme est un militantisme politique.
Car la seconde mamelle à laquelle notre intelligentsia a tété sa grille de lecture est une idéologie d’extrême gauche. Il y a quelques mois, une enquête auprès de journalistes français, tous supports confondus, montrait que plus de 95% d’entre eux se situaient à gauche ou à l’extrême gauche de l’échiquier politique.
Entre Mermet qui fut directeur de campagne pour Besancenot et les nombreux chroniqueurs de France Inter, Culture etc., qui soutiennent le PS, il n’est pas surprenant que les informations délivrées par nos médias soient pour le moins orientées.
« Délivrance 2 », une coproduction Metro Golda Meyer et XXth Century Fox & CNN
Depuis 6 ans qu’Ingrid Bétancourt (rien à voir avec la famille de Bettencourt, propriétaire de L’Oreal) était prisonnière des Farc, nous nous étions habitués au casting simpliste mais inaltérable que nous assenaient les médias :
Ingrid elle-même, courageuse icône du féminisme et de la démocratie, Alvaro Uribe, le Président colombien, un fasciste pro-américain (pléonasme) responsable des malheurs de la précédente, les Farc, sympathiques révolutionnaires contraints par l’intransigeance d’Uribe à kidnapper des pipoles, Hugo Chavez, un Che Guevara moderne, d’une violence anti-américaine jouissive pour les alter de tout poil, les Américains eux-mêmes, salauds impérialistes uniquement intéressés par le pétrole et qui, donc, ne se souciaient pas de la Jeanne d’Arc franco-colombienne et enfin, une fois n’est pas coutume, on n’entendait pas parler des Israéliens, ces nazis qui prennent plaisir à tirer sur des petites filles à la sortie des écoles (dixit un ex-sous préfet).
A la chiche lumière de cette distribution archétypale, la seule solution possible pour la libération d’Ingrid était une négociation avec les ravisseurs par l’intermédiaire du héros Chavez. Et surtout, surtout, éviter absolument toute intervention militaire, qui n’aurait pu conduire qu’à la mort des otages.
De fait, lorsqu’un général français fut interrogé sur France Culture sur la participation de la France à l’exfiltration des prisonniers, il répondit nettement que c’était impossible, car « la France était opposée à toute opération militaire ».
En France, « militaire » rime avec défaite et colonialisme
Lorsqu’on cherche « victoire militaire française » sur Google, seule la première réponse donne les trois mots à la suite. Elle se réfère à la guerre de Cent ans, les suivantes ont les résultats dans le désordre : « Des victoires militaires françaises sur les Britanniques ? ... Guillaume le conquérant était un Francais (breton) et a également été roi d’Angleterre! » et : « La Bérézina : Une victoire militaire: Fernand Beaucour, ... de la Commission Française d'Histoire Militaire et Professeur à l'Université d'État ».
Notre inconscient collectif est le résultat direct de l’Histoire nationale : depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe s’est créée cahin-caha sur la base de négociations essentiellement commerciales.
Puisque d’une part, ce mode de fonctionnement a réussi à rapprocher les ennemis héréditaires de part et d’autre du Rhin et que d’autre part, nous n’avons résolu aucun conflit par les armes depuis la Guerre de Cent ans, il est logique que l’exception française nous inscrive dans le camp des pacifistes irréductibles préférant mourir à genoux plutôt que vivre debout… grâce aux Américains.
Souvenons-nous de Jacques Chirac, déclarant à propos de l’Irak que « la guerre est toujours la pire des solutions ». Chirac, créateur du RPR lui-même issu du Général de Gaulle grâce à l’engagement militaire duquel la France avait abordé l’après-guerre dans le camp des alliés et non dans celui des vaincus !
Se prendre les pieds dans ses contradictions demande de l’équilibre…
Les admirateurs d’Ingrid ne sont pas au bout des contradictions douloureuses : hélas, trois fois hélas, voilà que la réalité dément cruellement l’ordonnancement joli dans lequel ronronnaient leurs convictions !
C’est l’armée colombienne (beurck) appuyée par les Américains (pouah) et conseillée par des Israéliens (vade retro, Satanas !) qui a délivré Ingrid et ses 14 compagnons sans verser une goutte de sang.
Il est de tradition que la gauche soit aux côtés de la veuve et de l’orphelin. Ingrid Bétancourt n’est ni l’un ni l’autre mais elle était incontestablement une victime. Otage, certes, mais de « guérilleros », vocable qui provoque une exaltation pavlovienne chez les bobos parisiens. D’ailleurs pour mieux tromper les Farc, les soldats colombiens s’étaient déguisés en ONG avec T-shirts du Che, c’est dire !Du coup, on feint de se souvenir que ces ravisseurs pratiquaient également un narco trafic artisanal. En Amérique du sud, on peut être marxiste-léniniste et faire le commerce juteux de l’opium au peuple.
Quand on connaît les profits colossaux générés par ce trafic, on ne peut que ricaner devant les accusations d’une certaine chaîne suisse qui prétend que la libération des otages a été « achetée 25 millions de dollars », soit une petite semaine de cocaïne en soldes…
De devoir le retour de leur icône à Bush-Sharon, leur cœur s’est arrêté
Non seulement cette opération « à l’Israélienne » était bien pilotée par des Israéliens et armée par des Américains, mais à peine délivrée, l’ex-prisonnière s’agenouillait pour remercier la vierge, Dieu et Sarkozy.
En six ans, la France qui milite avait eu le temps de se fabriquer une idole à sa convenance, donc forcément anti-américaine, athée et dont la part française ne pouvait que souscrire au « tout sauf Sarkozy ».
L’embarras des journalistes essayant de minimiser la foi d’Ingrid Bétancourt avait quelque chose d’infiniment réjouissant aux oreilles des militants Pour une Rigueur de l’Information dans les Médias Occidentaux. On a tant présenté Bush comme un Néandertalien du fait de sa croyance en Dieu qu’une manifestation de religion quelle qu’elle soit devient la preuve d’une crétinerie irrécupérable.
Un autre Président, Alvaro Uribe, se voit maintenant reconnaître du bout des dents qu’il n’est pas aussi fasciste que le décrivaient les tenants de la négociation à tout prix. Quant à Chavez, il vient de faire voter des dispositions qui lui permettront d’accéder au statut de lider maximo aussi libéral que Fidel Castro. Ses admirateurs hexagonaux ont à peine effleuré le sujet, tout à leur regret qu’il n’ait pas seul et contre tous obtenu la libération d’Ingrid.
Ne pas désespérer de l’idéologie
Allons, l’état de grâce ne dure pas : la France reste cette sempiternelle exception qui fait l’admiration des foules. Les premiers grincements se font entendre. L’une se hâte d’accuser Sarkozy de récupération au cas où, les autres prétendent que le sauvetage n’a jamais eu lieu : c’était une mise en scène destinée à occulter la remise d’une rançon.
Les otages, eux, n’ont rien remarqué. Ils sont encore sous le coup de l’émotion : elle les rend perméables à la réalité.
Une pareille disgrâce ne risque pas d’arriver à nos valeureux Tintin en Amazonie…
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