par Emily KaiserWASHINGTON (Reuters) - Les spreads de crédit et titrisations de crédits ne signifient pas grand chose pour l'homme de la rue aux Etats-Unis, mais si Wall Street continue de dévisser c'est "Main Street" - l'économie au quotidien - qui risque d'en souffrir.
La consommation des ménages, moteur de la croissance américaine, a ralenti ces derniers mois même si elle a bien résisté jusqu'ici à l'envolée des prix de l'essence et au ralentissement du marché immobilier.
Elle reste sous-tendue par des crédits abordables et les turbulences de cette semaine sur les marchés financiers ont montré comment toute l'économie mondiale est elle aussi dépendante de l'argent abondant.
La crise a pour origine le dégonflement de la bulle du marché immobilier américain, qui a entraîné une baisse des prix des maisons et des défauts de remboursements nombreux dans la catégorie des crédits "subprime", consentis par des banques et établissements spécialisés à des acquéreurs sans garantie.
Or si ces crédits à haut risque pouvaient être accordés, c'est parce que les banques émettrices les découpaient en tranches plus ou moins risquées revendues sur le marché secondaire, où des hedge funds voire d'autres banques en quête de rendements se les arrachaient pour faire de bonnes affaires - tant que l'argent facile coulait à flot et que les défauts de paiements restaient à un niveau supportable.
La crise de ce segment du marché a entraîné un durcissement des conditions de crédit qui s'est propagé au marché de la dette des entreprises et menace de gagner le crédit à la consommation.
"Tel que constaté ces derniers jours, l'assèchement des liquidités à court terme pour les institutions financières est très inquiétant pour les banques centrales", déclare Bruce Kasman, chef économiste chez JP Morgan. "Si rien n'est fait, cela peut entraîner un mouvement général de raréfaction du crédit qui peut perturber les activités normales des entreprises et des ménages".
CREDIT CRUNCH
Les banques centrales du monde entier ont injecté plus de 325 milliards de dollars de liquidités dans le marché monétaire ces dernières 48 heures pour empêcher une pénurie de crédit ("credit crunch") à grande échelle.
Jusqu'à présent, confirme Jack Ablin, directeur de l'investissement chez Harris Private Bank à Chicago, le problème est resté cantonné à la communauté financière. "C'est un problème à 90% pour Wall Street et à 10% pour Main Street", résume-t-il. "La croissance économique mondiale reste forte et les fondamentaux de la Bourse reste raisonnables, même en tenant compte du renchérissement du coût du capital".
Mais cette crise du crédit tombe à un bien mauvais moment : en août, la grande distribution américaine prépare déjà ses commandes pour la période de Noël et ses promotions.
Les offres de crédit gratuit pour les achats importants (ameublement, gros électroménager) qui avaient fleuri ces dernières années dans les chaînes spécialisées risquent de disparaître si les coûts de financement augmentent.
Les distributeurs ont publié jeudi des ventes décevantes pour le mois de juillet et General Motors a réduit mercredi ses prévisions pour le marché automobile américain en 2007.
La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne, parmi d'autres banques centrales, ont injecté jeudi et vendredi des liquidités dans le marché monétaire pour tenter de rassurer les investisseurs. La Maison blanche y a aussi mis du sien en jugeant que les fondamentaux économiques restaient sains.
Le président George W. Bush et son secrétaire au Trésor Henry Paulson mettent en avant l'inflation modérée, la vigueur du marché du travail et la croissance mondiale qui reste forte pour justifier leur optimisme.
Mais il y a des signes avant-coureurs d'hésitation chez des entreprises.
Une enquête récente de l'Association américaine des professionnels financiers montre qu'aux Etats-Unis, elles détiennent des niveaux élevés de cash et que 36% d'entre elles sont en train de les augmenter. Or cette attitude traduit une réticence à investir, soit par crainte d'un credit crunch, soit dans l'anticipation d'un ralentissement économique.
Paradoxalement, la peur de celui-ci pourrait en fait bénéficier au consommateur américain.
Les cours du pétrole ont par exemple perdu 10% depuis le début du mois dans la crainte d'une baisse de la demande des Etats-Unis, ce qui devrait se traduire par une décrue des prix à la pompe et soulager ainsi le pouvoir d'achat des ménages - un cadeau non négligeable pour la rentrée scolaire.
Et certains économistes de Wall Street pensent que la Réserve fédérale pourrait réagir à la situation actuelle en baissant ses taux d'intérêt, peut-être dès ce mois-ci.
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