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Mis à Jour le : 25 septembre 2007 21:15
Greespan : la guerre d’Irak est justifiée par les menaces sur l’approvisionnement du pétrole
25 septembre 2007Greenspan répond aux questions incisives d’Amy Goodman et Naomi Klein sur les raisons de la guerre d’Irak, la politique économique de Bush, le FMI, la crise des subprime.
Alan Greenspan, l’ancien directeur de la Banque Centrale américaine, répond aux questions d’Amy Goodman et de Naomi Klein, pour Démocracy Now, le 24 septembre 2007
Extraits
Goodman : Alors que la crise du crédit continue à s’étendre et que le dollar a atteint son niveau le plus bas, nous recevons aujourd’hui l’ancien directeur de la Réserve Fédérale, Alan Greespan qui a dirigé la Banque Centrale durant presque deux décennies.
Il a été nommé en 1987 par Ronald Reagan et a quitté son poste en janvier 2006 après avoir déterminé les taux d’intérêts sous quatre présidents différents. Surnommé Le Maestro, il était considéré comme l’un des décideurs économiques les plus importants au monde. Il vient d’écrire un livre de 500 pages où il raconte ses mémoires, L’Age des Turbulences.
Goodman : C’est un plaisir de vous avoir parmi nous. Vous avez travaillé avec le président Reagan, les deux présidents Bush, et le président Clinton, que vous qualifiez de président Républicain. Pourquoi ?
Greenspan : C’était sensé être quasiment une plaisanterie.
Goodman : Parlez nous de lui
Greenspan : J’ai déclaré être un Républicain libertarien [1], ce qui signifie que je crois en un certain nombre d’idées comme la réduction de la taille de l’état, les contraintes sur le déficit public, le marché, la mondialisation, et toute une série d’autres thèmes, comme la réforme du système de santé. Comme vous devez vous en souvenir, Clinton était pratiquement sur la même .... Il appliquait ce même programme. Comme il l’a dit nous étions tous deux comme un vieux couple, car c’est un Démocrate centriste, ce qui n’est pas très éloigné des libertariens.
Goodman : A quel point diriez vous que vous étiez d’accord avec lui ?
Greenspan : Sur les questions économiques, je dirais 80%
Goodman : Et au sujet du président Bush ?
Greenspan : le président Bush avait cette caractéristique merveilleuse de savoir qu’il n’était pas à son avantage ni au nôtre d’interférer avec les actions de la Fed. Et je dois dire que durant toutes ses années il ne s’est jamais ravisé au sujet des actions de la Fed. C’était très important pour nous, et nous l’appréciions beaucoup.
Mais comme je l’ai dit dans mon livre, il ne s’est pas opposé, comme je le pensais nécessaire, à un congrès Républicain indiscipliné, qui je le crois s’est égaré, et a commencé à dépenser et à créer toutes sortes de déficits budgétaires. Sur le fond, ce que je crois, c’est que le gouvernement aurait pu faire beaucoup mieux si le droit de veto présidentiel avait été utilisé. Comme vous vous en souvenez il n’a pas utilisé du tout son droit de veto. Cela aurais je le crois conduit à des travaux plus équilibré au Congrès, et en ce sens, c’est à mon avis un bilan mitigé.
La guerre d’Irak
Goodman : parlons de la guerre en Irak. Vous avez déclaré ce qui pour beaucoup, dans les cercles ou vous évoluez, est inavouable. Que la guerre en Irak était pour le pétrole. Pouvez-vous vous expliquer ?
Greenspan : L’argument que je soulevais, c’est que s’il n’y avait pas eu de pétrole sous les sables d’Irak, Saddam Hussein n’aurait jamais été en mesure d’accumuler les ressources qui lui permettaient de menacer ses voisins, l’Iran, le Kowait, l’Arabie Saoudite. L’ayant observé durant trente ans, j’étais effrayé à l’idée que s’il parvenait à obtenir une arme nucléaire - je crois qu’il était très capable d’en acheter une - il aurait tenté et serait peut-être parvenu a contrôler le flux du pétrole via le détroit d’Ormuz. C’est le chenal par lequel passent 18 ou 19 millions de barils par jour sur les 85 millions de la production mondiale. S’il avait décidé de bloquer, disons 7 millions de barils, ce qu’il aurait pu faire en contrôlant le détroit, il aurait également bloqué une partie significative de l’activité économique mondiale.
L’ampleur de la menace qu’il représentait, telle que j’en percevais l’émergence, était effrayante. Donc le chasser de ses fonctions, le chasser de la position de pouvoir qu’il avait, c’était essentiel. Que cela soit fait d’une façon ou d’une autre n’avait pas d’ importance. Mais pour moi il est clair que s’il n’y avait pas de ressources pétrolières en Irak, l’aspect global de l’évolution de cette région du Moyen Orient aurait été différent.
Naomi KleinGoodman : Nous sommes rejoints par Naomi Klein, auteur de la Doctrine de choc : naissance d’un capitalisme du désastre. Que répondez vous à cela, Naomi Klein ?
Klein : Je me demande si cela dérange M. Greenspan que toutes ces guerres pour les ressources dans des pays étrangers soient en fait illégales. M. Greenspan défend l’état de droit, l’importance de l’état de droit, dans son livre. Mais dans ses déclarations sur les raisons pour lesquelles cette question n’a pas été soulevée en public, il dit que cela n’était pas politiquement opportun. M. Greenspan, êtes vous conscient que selon les traités de la Haye et la convention de Genève, il est illégal d’envahir un pays pour ses ressources naturelles ?
Greespan : Non, ce que je disais c’est que le problème qui préoccupait, comme vous le savez, la plupart des gens en faveur de la guerre c’était celui des armes de destructions massives. Personnellement, je pensais que Saddam se comportait de telle manière qu’il avait probablement, pratiquement certainement, des armes de destruction massive. J’ai été surpris, comme la plupart, qu’il n’en ait pas. Mais ce que je disais, c’est que ma raison d’être réjoui de voir Saddam chassé du pouvoir n’avait rien a voir avec les armes de destruction massive. Elle avait à voir avec la menace potentielle qu’il pouvait exercer sur le reste du monde.
Klein : Oui, je comprends cela. Mais il n’a pas été simplement chassé. Les USA ont envahi l’Irak, l’ont occupé et ont pris le contrôle de ses ressources. Selon les lois internationales, c’est illégal de mener une guerre pour obtenir le contrôle des ressources naturelles d’un pays souverain.
Greenspan : Oui, non. Je suis tout à fait conscient du fait qu’il s’agit là d’un problème hautement, terriblement important. Comme je l’ai dit dans d’autres circonstances, j’ai toujours pensé que la question était celle de l’action préventive, souvent appelée pré-emptive, de la part de certains pays pour sécuriser des ressources, ou autre chose de même nature. C’est un problème qui remonte à la guerre froide, lorsque nous étions confrontés au dilemme moral de ce qu’il convient de faire quand vous pensez qu’un missile vient vers vous, sans que vous soyez sûr s’il s’agisse d’un accident ou pas. C’est un problème moral important pour les sociétés civilisées. (...)
Goodman : Naomi Klein ?
Les politiques du FMI
Klein : vous vous êtes aussi fait l’avocat des thérapies économiques de choc, et vous avez soutenu les programmes du FMI qui ont transformé très très rapidement des économies. Vous dites aussi que vous défendez l’état de droit. Mais je me demande comment, pour un pays comme la Russie, il pourrait y avoir un état de droit quand il subit une transformation accélérée de ce type.
Greenspan : souvenez vous que le marché ne naît pas simplement de l’élimination de la planification centralisée. Souvenez vous, lorsque le mur de Berlin est tombé et que l’Union Soviétique s’est désintégrée, il n’y avait pas d’économie de marché. Essentiellement c’était une économie de marché noir. Ils ont tenté de développer les institutions d’une société démocratique et ce n’était pas quelque chose qu’ils avaient depuis des générations. Comme vous pouvez l’observez maintenant, il y a un autoritarisme accru. C’est une société traversée par différents mouvements, à différents niveaux. Je ne sais pas exactement où ils vont, mais je n’aime pas la direction qu’ils ont pris ces dernières années.
9 milliards de dollars évaporés en Irak
Amy GoodmanGoodman : je voudrais revenir en arrière sur l’Irak, et vous demandez votre avis au sujet d’un article de Jim Steele et Don Barlett publié par Vanity Fair, où ils parlent des milliards perdus en Irak. Ils commencent leur article en disant « D’avril 2003 à juin 2004, [12 milliards] de dollars US, la plupart appartenant au peuple irakien, ont été expédié de la Fed à Bagdad, où ils ont été remis à l’Autorité Provisoire de la Coalition. Une partie de cette somme a été utilisée pour des projets et maintenir à flot les ministères, mais de façon incroyable, au moins 9 milliards ont été perdus, ont disparu, en paroxysme de mauvaise gestion et d’avidité. »
Alan Greespan, quand vous dirigiez la Fed, quelle connaissance avez-vous eu de ces faits ? Avez-vous enquêté ? Etiez-vous alerté à ce sujet ?
Greenspan : Nous étions principalement impliqués dans les efforts pour créer une devise viable pour la Banque Centrale d’Irak. Ce que nous avons fait, avec succès me semble-t-il, c’est de créer un système financier viable, même dans les circonstances actuelles. Il y a eu, pour autant que le puisse en juger, d’énormes fuites de ressources dans des zones que personne aujourd’hui ne parvient à comprendre ou à suivre. Cela n’a rien à voir avec la Banque Centrale. Nos relations avec elle nous agissions au plus comme un intermédiaire pour les aider à créer un système, qui existe aujourd’hui, fonctionnant raisonnablement bien, malgré tous les problèmes. Le problème auquel vous faites référence n’a rien à voir avec la Fed, et ses relations avec la Banque Centrale.
Goodman : Ils parlent par exemple d’un jour où un semi remorque a chargé, au centre d’opération d’East Rutheford de la Banque Fédérale de New York, situé au 100 Orchard Street. Bien qu’ils soient accoutumés à recevoir et expédier de grandes quantités d’argent, les coffres n’avaient jamais traité une commande de cette ampleur : 2,4 milliards en billets de 100 dollars. Mais au bout du compte, encore une fois, 9 milliards sur 12 ont disparu en Irak.
Greenspan : je n’ai pas connaissance de ces circonstances. Et cela n’a certainement pas été porté à mon attention. Franchement,je trouve très peu vraisemblable que ces ordres de grandeur ait été impliqués par les chiffres sur lesquels nous travaillions. Il faudrait être sûr de cela. Il y a eu beaucoup de confusion au sujet de ces pertes, et des gens ont utilisé le dinar, la devise irakienne, en pensant que c’étaient des dollars US. Evidemment cela donne une vue très fausse. J’ai vu récemment plusieurs articles très récents, dans lesquels ce type d’erreur était faite. Ce que je peux vous dire c’est que de tels chiffres, de l’ordre de ceux dont vous parlez, n’ont jamais été soumis à la Fed.
Goodman : C’est basé sur un article qui a été primé, publié par Vanity Fair,
Greenspan : Les prix ne donnent pas nécessairement...
Goodman : Non, je veux dire Don Barlett et Jim Steele qui sont des journalistes qui ont reçu le Pulitzer. Je suis sûr que vous connaissez leur travail. Mais revenons à Naomi Klein
Klein : j’ajouterai simplement que je trouve plutôt surprenant que M. Greenspan ne soit pas informé de ce scandale concernant les milliards manquant en Irak, car Paul Bremer a du témoigner devant le Congrès et a été interrogé directement au sujet de ces milliards manquants. Ils ont fait l’objet d’enquête à un haut niveau. Il y a un énorme dossier à ce sujet. Donc ce n’est absolument pas un secret, et ce n’est pas une question qui serait confinée à Vanity Fair.
Greenspan : Je ne dis pas que les pertes ne sont pas réelles. Je crois qu’elles le sont car, de façon évidente, nous ne pouvons justifier de l’ensemble des revenus du pétrole. Je dis simplement que ce n’est pas quelque chose qui était directement lié à l’action de la Fed de New York dont nous parlions. (...)
Les critiques de Krugman
Goodman : je voudrais aborder votre travail à la tête de la Fed, et vous interroger sur l’article de Paul Krugman titré « Sad Alan Lament » (Les lamentations du triste Alan) qui aborde la question du soutien aux baisses d’impôts de Bush. Krugman écrit « M. Greenspan vient de publier un livre où il fustige le gouvernement Bush pour son irresponsabilité en matière fiscale. Désolé, mais ces critiques viennent six ans et mille milliards trop tard. »
« M. Greenspan déclare maintenant qu’il ne pensait pas avoir donné le feu vert aux baisses d’impôts et qu’il était étonné par les réactions politiques provoquées par ces remarques » (...)
« Si quiconque avait des doutes au sujet de la détermination de M. Greenspan à ne pas gêner le gouvernement Bush, ces doutes s’envolaient deux ans plus tard, lorsque le gouvernement proposait une nouvelle baisse, alors même que le budget était en déficit élevé. Et devinez quoi ? L’ancien grand prêtre de la discipline fiscale n’objectait pas. » (...)
Votre réponse Alan Greenspan ?
Greenspan : je trouve cela très fâcheux. Paul est un bon économiste. Je le connais depuis des années. Il a tort fondamentalement sur nombre de faits, de fait probablement tous ceux que vous avez cité.
D’abord, j’étais en faveur des baisses d’impôts de n’importe quelle nature, en accord avec tous les experts, quand nous étions potentiellement face à un accroissement des surplus. Si nous avions autorisé ces surplus quand la dette des USA tendait vers zéro, nous aurions laissé le gouvernement fédéral accumuler d’énormes montants de ressources venant des entreprises. (...)
La crise des sub-prime
Goodman : au sujet de la crise des sub-prime à laquelle nous assistons aujourd’hui, de nombreuses personnes disent que vous y avez sérieusement contribué, que vous en avez jeté les fondations en maintenant les taux d’intérêts bas.
Greespan : la crise des sub-prime est un résultat des taux d’ intérêts bas. Ces taux, si on observe le contexte de l’augmentation des prix dans l’immobilier au niveau mondial, sont clairement un problème mondial. C’est le résultat des changements fondamentaux qui résultent de la fin de guerre froide. Cette bulle immobilière existe dans une dizaine de pays dans le monde, ce qui plaide en faveur d’une explication globale, pas locale.
Nous avons essentiellement tenté aux USA d’augmenter les taux des emprunts immobiliers et de ralentir la bulle. Souvenez vous, c’est la bulle qui a créé une bonne part des problèmes que nous avons eu dans le marché des sub-prime. Nous avons échoué. Cela nous indique qu’il y a des forces mondiales qui sont à l’œuvre. (...)
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Publication originale Democracy Now, traduction Contre Info
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[1] Le courant libertarien rassemble les membres de la droite américaine les plus vigoureusement opposés à l’intervention de l’état dans la vie sociale, qui se veulent les héritiers de l’esprit des pionniers. Dans sa version extrêmiste il peut prendre la forme d’un anarchisme de droite qui a donné naissance aux milices patriotiques