Bush s’est-il octroyé les pleins pouvoirs ?
20 octobre 2007
Le président Bush a signé en mai dernier une ordonnance attribuant à l’exécutif des pouvoirs exceptionnels en cas de troubles majeurs, à côté de laquelle notre sulfureux article 16 de la Constitution semble bien anodin. Ron Rosenbaum a analysé pour Salon la Directive 51 et estime qu’elle justifie les pires craintes pour la démocratie américaine en cas de nouvel attentat terroriste sur le sol des USA.
21/7 - Correction [1]
La Directive Présidentielle sur la Sécurité Nationale 51 ou NSPD 51, signée par le Président Bush le 9 mai 2007, organise la continuité du gouvernement aux USA dans le cas d’une situation d’urgence nationale telle qu’un attentat terroriste.
De nombreux citoyens américains y voient une disposition qui pourrait permettre au président Bush de suspendre le fonctionnement normal des institutions. Rosenbaum cite un commentaire, lu sur le Huffington Post, qui évoque un scénario où Bush se saisirait du prétexte d’un attentat survenant en 2008 pour interrompre le processus électoral au nom de la sécurité nationale et de la nécessité d’une action urgente.
Qu’adviendrait-il, s’interroge Rosenbaum, si un attentat se déroulait le jour même de l’élection. Qui déciderait si elle devrait être reportée, et si oui, jusqu’à quand ?
Plus inquiétant encore, l’ordonnance NSPD 51 contient des clauses secrètes - oui, vous avez bien lu, secrètes - sous la forme d’annexes classifiées pour raison de sécurité nationale et dont personne n’a pu prendre connaissance.
Redistibution des pouvoirs
L’ordonnance décrit les mesures destinées à organiser la continuité du gouvernement en cas d’urgence catastrophique, c’est-à-dire :
« Tout évènement, indépendamment de sa localisation, provoquant un nombre très élevé de victimes, des dommages ou une désorganisation affectant sérieusement la population américaine, les infrastructures, l’environnement, l’économie, ou le fonctionnement du gouvernement. »
Parmi les mesures d’urgence, l’article 2E de l’ordonnance définit ainsi les modalités de la « continuité du gouvernement constitutionnel » des USA :
« Un effort conjoint de la part des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement fédéral, coordonné par le Président, sous la forme d’une délégation, en respect des pouvoirs législatif et judiciaire et de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, afin de préserver le cadre constitutionnel régissant le gouvernement de la nation, et la capacité des trois pouvoirs de gouvernement d’assurer leurs responsabilités constitutionnelles et de pourvoir à des successions ordonnées, une transition de pouvoir appropriée et l’accomplissement des fonctions essentielles à la nation durant une situation d’urgence catastrophique. »
L’étendue des fonctions dévolues à cette structure d’urgence coordonnée sous la direction du Président a effectivement de quoi inquiéter. Cet étrange hybride, rassemblant les trois pouvoirs, chargés de pourvoir aux « successions, » et aux « transitions » aurait sans doute pu avoir une raison d’être « le jour d’après » d’une attaque nucléaire totale du bloc soviétique, laissant un pays dévasté.
Mais on peut légitimement s’interroger sur la nécessité de mesures exceptionnelles de réorganisation des pouvoirs d’une telle ampleur, même dans le cas de l’explosion d’une bombe sale, dispersant des matières radioactives, au cœur d’une grande ville américaine.
Rosenbaum s’inquiète tout particulièrement de l’emploi du mot « comity » - que nous traduisons par délégation - dans la rédaction de cet article. Si l’usage courant est assez anodin, l’American Heritage Dictionnary le définit ainsi dans le contexte juridique :
« Principe par lequel les cours d’une juridiction peuvent accepter ou donner effet aux lois ou décisions d’une autre. »
Quel serait donc le - ou les - pouvoirs qui auraient à accepter ou reprendre à leur compte les décisions prises par un autre, dans le cadre d’une instance « coordonnée par le président », s’interroge-t-il.
La nature des circonstances catastrophiques permettant de déclencher ces procédures exceptionnelles est également suffisamment vague et extensive pour éveiller la suspicion. Une catastrophe comme l’ouragan Katrina ne rentre-t-elle pas dans la catégorie des évènements « provoquant un nombre très élevé de victimes, des dommages ou une désorganisation affectant sérieusement la population américaine »
La presse et le Congrès américain n’ont pas contesté la légitimité de cette ordonnance. Seules les associations militantes se sont inquiétées de son manque de clarté et des risques qu’elle recèle.
La Guilde Nationale des Avocats relève un point fondamental laissé dans l’ombre par la NSPD 51 : elle ne définit pas qui détient la responsabilité de déclarer l’état de catastrophe nationale, et pire encore ne spécifie pas non plus quelle est l’autorité responsable ou la procédure pour y mettre fin.
Clauses secrètes
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître pour une démocratie, l’ordonnance 51 contient des clauses secrètes, sous la forme d’annexes couvertes par le secret défense.
« Paragraphe 23 L’Annexe A et les Annexes de Continuité classifiées, ci-jointes au présent document, y sont incorporées et font partie de cette directive. »
« Paragraphe 24 - Sécurité. Cette directive et les informations contenues ci-après seront protégées contre les diffusions aux personnes non autorisées, compte tenu qu’à l’exception de l’Annexe A, les Annexes attachées à ce document sont classifiées et se verront accorder les précautions appropriées, en respect [ des règles ] applicables aux ordonnances. »
La NSPD 51 contient donc non seulement des clauses secrètes, mais leur nombre même n’est pas précisé.
Rosenbaum relate les mésaventures du parlementaire Peter De Fazio, élu de l’Oregon, qui a tenté d’avoir accès à ces annexes protégées par le secret défense.
De Fazio était membre de la Commission Parlementaire de la Sécurité Intérieure, et s’est soumis aux procédures de contrôle pour avoir accès à ces documents à l’intérieur d’une pièce à haute sécurité protégée contre tout type d’indiscrétions. Mais la demande de De Fazio a essuyé un refus en provenance de la Maison Blanche invoquant la « sécurité nationale. »
C’est la première fois que ce parlementaire se voyait dénier l’accès à des documents classifiés. A la suite de cette première tentative, il a pris contact avec le président de la Commission de la Sécurité Intérieure, Bennie Thompson ainsi qu’avec le président de la Commission de Surveillance du parlement, Chris Carney, afin qu’ils appuient sa demande. Sans plus de succès. La demande à été refusée une nouvelle fois, toujours au prétexte de considérations de « sécurité nationale. »
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Contre Info, avec Ron Rosenbaum, Salon
Sur le web : Maison Blanche, Directive 51