Attaquer l’Iran c’est attaquer la Russie
29 octobre 2007Pepe Escobar revient sur les derniers développements de la crise iranienne. De la fausse sortie de Larijani au rôle de Poutine, les manoeuvres vont bon train, tant sur le plan diplomatique qu’au sein du régime dont Khamenei, le véritable patron, détient les clés. En temps normal, on pourrait voir là un boulevard ouvert à l’action diplomatique. Mais la monomanie américaine pour les « solutions » militaires et les politiques de destabilisation - monomanie dont la France elle-aussi semble atteinte avec le duo Sarkozy Kouchner - rend l’occident incapable de se saisir de ces occasions.
Par Pepe Escobar, Asia Times, 26 octobre 2007
Le temps fort, lors de la visite du président russe Vladimir Poutine à Téhéran pour le sommet la Mer Caspienne la semaine dernière a été l’importante rencontre en tête-à-tête avec le Guide Supreme, l’Ayatollah Ali Khamenei, bien que cela ait été a peine souligné par la presse,.
Une source diplomatique de haut niveau à Téhéran a déclaré à Asia Times Online qu’en substance, Poutine et le chef suprême se sont entendus sur un plan visant à réduire à néant les efforts constants déployés par l’administration Bush pour lancer une attaque préventive contre l’Iran, incluant peut-être des frappes d’armes nucléaires tactiques.
Une attaque américaine contre l’Iran sera considérée par Moscou comme une attaque contre la Russie.
Cette première bombe politique a été suivie d’une autre : la brusque démission d’Ali Larijani de son poste de responsable de la négociation sur le dossier nucléaire iranien. Au début de cette semaine, à Rome, Larijani déclarait à l’agence de presse IRNA que « la politique nucléaire de l’Iran est constante et ne changera pas avec le remplacement du secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale (SNSC). » Larijani continuera d’assister aux réunions du SNSC, dorénavant au titre de représentant du Guide Suprême. Il a même pris le temps de rappeler à l’Occident que dans la République Islamique, toutes les grandes décisions concernant le programme nucléaire civil sont prises par le Guide Suprême. Larijani s’est effectivement rendu à Rome pour rencontrer le représentant de l’Union Européenne Javier Solana en compagnie de Saeed Jalili, le nouveau négociateur de l’Iran et ancien membre du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (IRGC), tout comme le président Mahmoud Ahmadinejad.
La réunion entre Khamenei et Poutine était en soi remarquable, en ceci que le Guide Suprême reçoit rarement des hommes d’États étrangers en entretiens privés, même lorsqu’ils sont de l’importance de Poutine. Selon notre source diplomatique, le président russe, a confié au Guide Suprême qu’il pouvait détenir la solution définitive concernant l’interminable controverse sur le dossier nucléaire iranien. Selon l’IRNA, après avoir souligné que le programme nucléaire civil iranien se poursuivra sans faiblir, le Guide Suprême a déclaré, « Nous allons réfléchir à vos paroles et à votre proposition. »
Larijani, de son côté, a déclaré à la presse iranienne que Poutine avait un « plan spécial » et que le Guide Suprême avait observé que ce plan méritait d’être « étudié. » Le problème, c’est qu’Ahmadinejad a démenti publiquement que les russes aient proposé un nouveau plan.
Les faucons iraniens proches d’Ahmadinejad font courir le bruit que la proposition de Poutine implique la suspension temporaire de l’enrichissement d’uranium en échange de l’abandon de sanctions supplémentaires des Nations Unies. C’est principalement ce sur quoi travaille depuis longtemps Mohammed El Baradei, le directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. La question clef, en termes pratiques, réside en la définition de ce qu’obtiendra l’Iran en retour. De toute évidence, ce n’est pas l’UE de Solana qui détiendra la réponse. Mais pour ce qui concerne la Russie, stratégiquement, rien ne pourra la satisfaire en dehors d’une solution politique et diplomatique pour le dossier du nucléaire iranien.
Dick Cheney, le vice-président - que même la sénatrice Hillary Clinton appelle désormais Darth Vador - doit écumer, mais le fait est qu’après le sommet de la Mer Caspienne, l’Iran et la Russie sont officiellement liés par un partenariat stratégique. Pour eux, la Troisième Guerre Mondiale n’est certainement pas au programme.
L’apparente controverse interne au régime sur l’appréciation d’une convergence entre Poutine et le Guide Suprême peut donner l’image fausse de l’existence d’un sérieux clivage dans les hautes sphères de la République Islamique. Le remplacement de Larijani, un faucon réaliste, par Jalili ,au passé encore plus belliciste et qui est une nouvelle inconnue dans l’équation du pouvoir, pourrait amener à conclure à la victoire d’Ahmadinejad. Ce n’est pas aussi simple que cela.
Ali Akbar Velayati, le puissant conseiller diplomatique du Guide Suprême, a déclaré ne pas apprécier du tout ce remplacement. Pire encore : en ce qui concerne les résultats déplorables de la présidence d’Ahmadinejad au plan économique, les critiques virulentes sont maintenant la norme. Un autre ancien négociateur nucléaire, Hassan Rowhani, a déclaré au journal Etemad Melli, « Les effets des sanctions [de l’ONU] sont visibles. Notre situation s’aggrave de jour en jour. »
Ces deux derniers mois, Ahmadinejad a placé ses anciens frères d’armes de la Garde de la Révolution à des postes clés, tels la présidence de la banque centrale et du pétrole, et aux ministères de l’industrie et de l’intérieur. La répression est incessante. Dimanche, des centaines d’étudiants protestaient à l’Université Amir Kabir de Téhéran, criant « Mort au dictateur. »
Le pragmatique absolu, l’astucieux Hashemi Rafsandjani, actuellement chef du Conseil des Experts, en pratique un personnage bien plus puissant qu’Ahmadinejad, n’a pas tardé à exprimer publiquement que « nous ne pouvons faire plier les esprits par des régimes dictatoriaux. »
Cette semaine, le Guide Suprême lui-même est intervenu en disant : « Je suis en accord avec ce gouvernement, mais cela ne signifie pas que j’approuve tout ce qu’il fait. » Dans les circonstances explosives actuelles, cette déclaration est, elle aussi, une bombe politique.
Il faut se rappeler, si besoin en était, qu’en Iran l’influence de l’establishment s’arrête à la porte du bureau du Guide Suprême, et que celui-ci n’a absolument aucune envie de fournir un prétexte à l’administration Bush pour inaugurer la Troisième Guerre Mondiale. Si Ahmadinejad s’écarte maintenant du scénario stratégique soigneusement concocté, le Guide Suprême peut tout simplement se débarrasser de lui.
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Publication originale Asia Times, traduction Petrus Lombard pour Alter Info, révision Contre Info.