BCE, pétrole et euro : l’analyse de Jean-Pierre Robin
08/11/2007 | Mise à jour : 22:14 | Commentaires 2 .
Selon Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au «Figaro», les records du pétrole et de l’euro mettent la Banque centrale européenne sur le gril.
Deux chiffres ronds et extravagants s’inscrivent en lettres de feu à l’horizon : le baril de pétrole à 100 dollars et l’euro à 1,50 dollar. Et comme, en novembre, le soleil se couche tôt, il est à craindre que ces deux records tombent bien plus vite qu’on ne le souhaiterait. Pour se convaincre de leur énormité, il suffit de se rappeler que le pétrole se négociait aux environs de 10 dollars le baril le 1 er janvier 1999, lorsque la monnaie européenne a été créée, et que l’euro valait à peine 0,82 dollar le 26 octobre 2000. D’un côté, un décuplement et, de l’autre, un quasi-doublement. Si «la nature ne fait pas de saut», selon l’adage, l’économie, qui est affaire humaine, accomplit de drôles de galipettes !
Tel est le contexte, turbulent et aussi compliqué que l’Orient des diplomates, dans lequel le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne se réunit aujourd’hui à Francfort, comme chaque mois. Sa seule arme est celle du prix de l’argent, de son «taux directeur», le bien nommé. Il détermine le coût de refinancement des banques commerciales et, indirectement, le crédit des entreprises et des particuliers. Ce taux est aujourd’hui de 4 %, sans changement depuis juin. Il n’a rien d’excessif si l’on se réfère à l’une des règles d’or de la science économique, selon laquelle le prix de l’argent doit être égal à la progression en valeur de l’activité. Dans la mesure où la croissance en volume de la zone euro se situera aux alentours de 2,5 % en 2007, à quoi s’ajoute une inflation de 2,6 % (pour les douze derniers mois), la BCE serait même théoriquement fondée à durcir sa garde.
C’est, par exemple, l’analyse développée à maintes reprises par Axel Weber, président de la Bundesbank, qui prône un resserrement monétaire. On le comprend d’autant mieux que l’Allemagne affiche des performances bien plus rapides que les nôtres, qu’il s’agisse de sa croissance (2,4 % cette année) ou des prix à la consommation (2,4 %).
Ce point de vue pur et dur se concentre exclusivement sur les résultats récents de l’économie européenne. Il semble faire fi des vents contraires qui se sont levés ces derniers mois sur la conjoncture américaine avec la crise immobilière. Le FMI et l’OCDE en ont d’ores et déjà pris acte, révisant assez sensiblement leurs prévisions de croissance de 2007 et de 2008, pour ce qui concerne en tout cas l’ensemble des pays industrialisés traditionnels (Amérique du Nord, Europe et Japon). Pour le moment, les pays émergents paraissent épargnés, ce qui justifie que l’envolée des prix pétroliers se poursuive comme si de rien n’était.
Du point de vue européen, les menaces sont contradictoires. La flambée du pétrole pose un problème inflationniste. Au contraire, l’envolée de l’euro met à mal la compétitivité des exportateurs et la croissance dans son ensemble. À quoi s’ajoute la crise bancaire qui, au-delà des mauvais résultats des banques, conduit à restreindre les robinets du crédit. Au total, ce ne sont pas deux mais trois défis auquel est confronté Jean-Claude Trichet, le président de la BCE. Grand amateur de poésie, qui perfectionne son allemand sur son iPod, il connaît parfaitement les vers célébrissimes de Willhelm Müller : «J’ai vu trois soleils briller au ciel, je les ai longuement contemplés, et eux se tenaient là obstinément, comme s’ils ne voulaient pas me quitter.» Telle est sa situation.
Ces trois astres aveuglants et néfastes – pétrole exorbitant, euro surévalué, déprime bancaire –, il est périlleux de les regarder en face. D’abord parce que leurs rayons se mélangent de façon étrange. L’automobiliste français ne saurait oublier qu’il paierait aujourd’hui le litre de super sans plomb non pas 1,32 euro, mais 1,59 si l’euro était à son record de faiblesse d’octobre 2000 (selon les chiffres communiqués par l’institut Rexecode).
Par ailleurs, l’euro et ce qu’il faut bien appeler l’or noir se trouvent sur une échelle de perroquet : la hausse du premier entraîne immédiatement celle du second. Les marchés considèrent en effet qu’il convient de compenser de facto la perte de prix réel du pétrole qu’implique une baisse du dollar, sa monnaie de cotation : les producteurs de l’Opep acceptent de moins en moins d’être payés en monnaie de singe. Cette triple équation, pétrolière, monétaire et bancaire, les économistes s’efforcent d’en évaluer l’impact négatif pour la croissance.
Selon les calculs d’Eric Chaney, de la banque Morgan Stanley, le pétrole à 100 dollars, l’euro à 1,5 dollar et un durcissement des normes d’attribution du crédit bancaire exerceraient un impact global négatif d’un demi-point. Au lieu de 2 %, l’économie européenne ne progresserait que de 1,5 % en 2008, selon lui.
Le chasseur du Néandertal pouvait espérer «faire d’une pierre deux coups», tuer deux oiseaux avec un silex. C’est infiniment plus difficile pour Jean-Claude Trichet. Avec la seule arme de ses taux, il lui faut concilier des objectifs opposés : lutter contre l’inflation en interne, tout en calmant l’euro sur le front externe. Dans le doute, abstiens-toi : la BCE s’en tiendra aujourd’hui au statu quo sur les taux.
FIGARO.fr