Quand la réalité ne convient pas, falsifiez-laDans un article publié voici quinze jours dans le « Figaro », André Glucksman disait tout ce qu’il fallait penser de la lâche imbécillité qui a conduit le magazine « Time » à choisir le criminel Vladimir Poutine comme « homme de l’année ».
D’autres magazines américains ont, à l’époque, fait un autre choix, infiniment plus pertinent et judicieux, et ont donné ce titre au général David Petraeus. On en a peu parlé en France. Il aurait fallu expliquer le choix de David Petraeus, et ce n’est pas près d’être fait. Le credo en ce pays est que la situation en Irak est catastrophique, et comme un vieux soixante-dix-huit tours rayé, ou comme chez des perroquets amnésiques, les mots « enlisement » et « bourbier » ne cessent de revenir.
Quand la réalité ne vous convient pas, disait-on au pays de Poutine au temps disait-on dans l’ex-URSS, falsifiez la réalité. Une couverture de la « Pravda » dans les années soixante du siècle dernier montrait une photographie d’une boulangerie très réputée de Paris devant laquelle des gens faisaient la queue pour disposer du pain chaud sorti du four. La légende disait : « À Paris aussi, on souffre de pénuries alimentaires ».
Nous n’en sommes pas tout à fait là : en cherchant bien, sur des chaînes câblées, vers deux ou trois heures du matin, quand tout le monde dort, on voit des reportages pertinents tournés à Bagdad ou Kirkouk. Mais dans la grande presse, à la télévision sur les grandes chaînes, c’est le vide presque complet. Pensez : les attentats sont devenus si rares qu’on n’a presque plus de cadavre à se mettre sous la caméra.
Dès septembre, et je l’avais évoqué en ces colonnes, Petraeus avait présenté un rapport au Congrès, à Washington, où il parlait des victoires décisives remportées. Aucun média français n’en avait traité autrement que de manière scandaleusement tronquée. Plus de quatre mois après, cela n’a pas changé. Quand les troupes américaines commenceront à se retirer d’Irak, ce qui sera le cas dans quelques mois, on dira que c’est en raison d’une « défaite » qui n’existera que dans les fantasmes.
Quand (ce qui est déjà largement le cas) l’armée et la police du nouvel Irak s’occuperont elles-mêmes du maintien de l’ordre, on fera comme si nul en France n’avait rien vu et rien entendu. S’il se trouve des journalistes pour comprendre l’arabe quand le colonel Kadhafi est à Paris (et encore ne traduisent-ils pas certains propos : ceux où Kadhafi fait l’éloge de l’Union de la Méditerranée qui permettra qu’on parle une seule langue et qu’on pratique une même religion au Sud comme au Nord, par exemple), curieusement, aucun d’entre eux ne peut parler au Premier ministre ou au Président irakien : l’accent irakien en arabe doit être inintelligible pour un journaliste français, tout comme l’accent des dirigeants irakiens lorsqu’ils parlent anglais.
Ne pas dire la vérité sur la situation en Irak, que ce soit pour affirmer « l’immense sagesse » du Grand Timonnier Jacques Chirac ou par complaisance envers les dictateurs du monde arabe, empêchera les commentateurs d’expliquer pourquoi l’Irak ne sera pas au cœur de la campagne présidentielle américaine qui commence, ou pourquoi le défaitisme actif dont ont fait preuve les démocrates voici quelques mois doit impérativement être escamoté par eux aujourd’hui. Cela leur interdira aussi de suivre les lignes de force qui relient la situation troublée qui règne au Pakistan aujourd’hui à la défaite absolue d’al-Qaida en Irak et à l’idée, très largement évoquée outre Atlantique, que nous sommes confrontés à une guerre globale de l’islam radical contre la civilisation.
Avez-vous remarqué qu’on ne parle plus du tout d’islam radical en France aujourd’hui ? Quand la réalité ne vous convient pas, disais-je plus haut, falsifiez la réalité. Il n’y a plus d’islamistes en France et il y a une débâcle américaine en Irak, c’est la vérité médiatique officielle. Ce qui se passe au Pakistan ne concerne que le Pakistan, en Afghanistan que l’Afghanistan, au Liban que le Liban, Kadhafi a renoncé au terrorisme, Mahmoud Abbas est un modéré et un démocrate dont il faut garnir les comptes en banque. C’est la vérité médiatique officielle, toujours. N’oubliez pas votre comprimé de somnifère, et dormez bien. Surtout dormez bien. Si la réalité, la seule, la vraie, vous revient en plein visage, le réveil pourrait être difficile.
http://www.les4verites.com/Quand-la-realite-ne-convient-pas-falsifiez-la-1792.html