A la surprise générale, le Pentagone a finalement choisi vendredi l'européen EADS, maison-mère d'Airbus, allié à l'américain Northrop Grumman, pour la modernisation de la flotte d'avions ravitailleurs de l'armée de l'Air, au détriment de son rival Boeing.
L'octroi de ce méga-contrat, qui porte sur 179 appareils pour quelque 35 milliards de dollars, est un revers majeur pour l'avionneur américain, qui avait remporté la commande en 2003 avant de la voir annulée, après que des fraudes eurent été révélées.
C'est également un triomphe sans précédent pour l'Européen EADS qui s'impose enfin sur le plus grand marché militaire du monde, réputé très protectionniste, et où il n'avait jusqu'alors remporté que de maigres victoires.
L'équipe Northrop Grumann/EADS "avait clairement la meilleure offre pour le gouvernement", a déclaré Sue Payton, responsable des acquisitions de l'armée de l'Air américaine, lors d'une conférence de presse. "Plus de passagers, plus de cargo, plus de carburant transporté, plus de flexibilité", a renchéri le responsable de la logistique aérienne de l'Air Force, le général Arthur Lichte, qui table sur un premier vol du nouveau ravitailleur en 2013. Ces "stations-service volantes" datent pour certaine de l'ère Eisenhower.
Il s'agit de l'un des plus plus gros contrats alloués par le Pentagone, et la première tranche d'un marché d'une valeur totale estimée à plus de 100 milliards de dollars sur 30 ans. Cette commande est un "grand sujet de fierté" pour EADS, qui "l'encourage à poursuivre sa stratégie aux Etats-Unis", a réagi son président exécutif Louis Gallois auprès de l'AFP.
"C'est un énorme coup. C'est le plus gros contrat de défense américain jamais obtenu par un groupe d'Europe continentale", a commenté Richard Aboulafia, analyste aéronautique et vice-président de Teal Group.
Boeing, deuxième fournisseur du Pentagone après Lochkeed Martin et donné jusqu'ici favori, s'est dit "très déçu" vendredi et n'a pas exclu de protester auprès du Government accountability office, l'équivalent de la Cour des comptes. "Lorsque nous aurons vu les détails de l'attribution du contrat nous prendrons une décision", a indiqué le groupe. "Cette compétition n'a pas été biaisée, nous avons été très ouverts et transparents", s'est défendu Mme Payton.
L'armée de l'Air américaine avait déjà attribué en 2003 un contrat de location-vente à Boeing pour ses ravitailleurs, finalement annulé après la découverte de conflits d'intérêt qui ont valu la prison à deux responsables de l'avionneur, et poussé le secrétaire à l'Armée de l'air américaine de l'époque à la démission.
John McCain, sénateur de l'Arizona et actuel candidat à l'investiture républicaine pour l'élection présidentielle américaine de novembre, avait à l'époque activement dénoncé la connivence entre le Pentagone et Boeing dans cette affaire.
Le contrat avait ensuite été remis en jeu. Boeing présentait une version dérivée de l'avion-cargo B767-200, le KC-767. EADS offrait lui une version modifiée de son Airbus A330, le KC-30.
Jouant sur la corde du patriotisme économique, le groupe européen a promis qu'il délocaliserait à Mobile (sud) l'assemblage de l'A330 cargo et allait créer un total de 1.300 emplois.
La victoire d'EADS sur Boeing commençait malgré tout à provoquer vendredi des réactions indignées à Washington. Pour le républicain Duncan Hunter, membre de la Commission des forces armées de la Chambre des représentants, "la décision de l'US Air Force va coûter plus de 100.000 emplois" aux Etats-Unis, en profitant à "des gouvernements européens qui refusent de nous soutenir dans la guerre contre le terrorisme".